Gratte Papetière Numérique - 19/02/2017

Un seul citronnier ne suffit pas…

Un seul citronnier ne suffit pas pour retrouver la mémoire.
Ni même un verger de citronniers décidant de ne plus se taire.
Au Japon il s’agirait peut-être d’un cerisier ou d’un déluge de pétales.
Une pluie blanche et parfumée virevoltant jusqu’à l’obstacle au sol.
La terre il faudra la creuser pour trouver les indices d’une présence.
La terre est ronde et elle parle italien, français, espagnol et même américain...
Les voyages font lien lorsque par malheur les continents vous déboussolent.
Elle ne sait plus d’où elle vient la petite fille si jolie, si triste et parfois coléreuse.
Celle à qui l’on a fait croire que son père n’était devenu qu’un élégant citronnier.
Elle a attendu trop longtemps avant de questionner la Légende.
Elle en a parlé à sa fille, à sa tante, à sa mère ou aux grands-mères.
Toutes se souviennent curieusement avec des miettes photographiques.
Elles conservent des traces dont la volatilité reste à jamais consternante.

- Tu fais chier mémoire… Ne te prends pas pour une urne de cendres !…
J’irai plutôt voler un autre vase comme l’a fait mon géniteur puis je rapporterai
jusqu’ici un peu de la Vérité composite, son humus et ses odeurs de chair vivante.

Les hommes sont fugueurs, les hommes sont-ils volages ?
Les hommes sont-ils ce que l’on croit qu’ils sont lorsqu’on ne les connaît pas ?
Certains hommes disparaissent au vent des circonstances.
La politique et la bienséance de l’époque se chargent d’en dicter les excès.
Certains n’ont pas vécu la vie heureuse qu’ils ont rêvée. Anormalité d’une mort précoce.
Double vie ou vie très simple dans laquelle le Désir ou le Devoir ont mené le bal alternativement.
Être père qu’est-ce que c’est lorsqu’on n’a pas accompli tout le reste de son âge adulte ?
Être fille qu’est-ce encore, lorsqu’on n’a pas eu la chance de séduire son père au-delà de 24 mois ?
A l’aube de la parole et des premiers appels ciblés qui laissent le champ ouvert au goût de l’Ailleurs.
Boire le lait amer du chagrin porté par toutes les femmes immémoriales, chercher le grand-père,
s’accrocher à ses branches pour voir plus haut, plus loin, espérer que ça passe enfin , le goût de purée
aux larmes maternelles, proposée par la chère sœur du père…
Grandir comme un citronnier, nier le manque en gardant l’acidulé des angoisses et des phobies.
Aller vers la vie en dansant son outrage.
Outrage au droit de savoir, outrage au droit de détester et d’aimer à la fois,
outrage au droit de comprendre le secret de famille lamentablement occulté.
Outrage aux mots dirait Bernard Noël !


La colère monte au fil des pages de ce livre de réappropriation : Mon citronnier de Samantha Barendson. On a beau pardonner, on ne peut pas indéfiniment encaisser la séquestration du réel. Pour que l’enfant devenue grande, remercie à la fin, et réponde "pas de quoi !", cela n’aura jamais été aussi juste… Il n’y avait vraiment pas de quoi en faire un simple citronnier, séquestré lui aussi, de ce père flamboyant, qui avait de quoi vivre plusieurs vies. L’amour, comme la poésie sont ce qui devrait conserver et transmettre la vie. Un livre d’orpheline (un de plus) prouvera que le chapitre des paternités confisquées n’est jamais clos. Son épilogue aura ouvert d’autres perspectives et des rires très complices. Le citronnier est mort, vive le Mojito !

Marie-Thérèse Peyrin pour Samantha et son livre lu en 48 heure au début de l'année de mes 60 ans. Ce qui est écrit est écrit.