Mediapart blog - 08/12/2016

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Samantha Barendson (poète), la capacité de la poésie à traduire la réalité du monde

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La Maison de la Poésie de Nantes interpelle les auteurs et artistes invités à MidiMinuitPoésie #16 sur une question d'actualité. Troisième sujet : Que diriez-vous de la capacité qu’offre la création poétique actuelle à traduire la réalité du monde, selon votre propre pratique d’écriture et/ou de lecture ?

Réponse

Récemment un ami me faisait remarquer que le poète dit la vérité tandis que le romancier ment. Je n'ai pu qu'acquiescer. Il y a dans la poésie comme un devoir photographique, une nécessité de transposition du monde en mots, une recherche de transformation du réel en verbe, en rythme, en art. La poésie pour décoder ou donner du sens à ce qui nous entoure, pour rendre nos existences intelligibles. La poésie comme baume à nos blessures internes, miroir de nos vies identiques, espoir de lendemains meilleurs. La poésie pour regarder les choses avec la distance nécessaire de l'objectivité, poésie-prisme ou poésie-loupe, concision de la parole qui ne garde que l'essentiel et se débarrasse de tout artifice, posture ou mensonge. Poésie nue pour montrer l'Homme nu dans toute la contradiction de sa fragilité d'être humain capable du meilleur comme du pire. La poésie ne juge pas, elle montre et impose à notre regard la crudité des images que nous fuyons à la télévision.

Lorsque, par exemple, la poétesse Anat Zecharia écrit un poème intitulé Femme vertueuse à propos de cette jeune fille de 14 ans violée par 35 soldats dans une base militaire, elle écrit sans fard les mots suivants auxquels je n'ajouterai rien  :

Le premier
pose ta tête entre ses jambes nues
on pourrait croire
qu'il ne te force pas mais plutôt
qu'il te remercie et caresse ta tête.
Le deuxième glisse lentement sur ton dos,
les sensations sont nouvelles
et tu peux encore y prêter attention.
Le troisième y fourre trois doigts
"Ne bouge pas". Et tu ne bouges pas,
la carte du Grand Israël 
en face de toi.
Le quatrième déplace un pile de rapports
sur les accidents aériens dans le sud
et te prend par derrière.
Un grand amour, penses-tu,
un grand amour m'envahit
et ne me lâchera pas.
Tu lèves et baisses les bras
ton corps s'étire jusqu'aux bordures du ciel
tes mains en coupe attendent la pluie.
Les insatiables cinquième et sixième
jouissent en toi.
Le sel arrogant de la terre, regards fuyants,
ceux qui attendent leur tour. 
D'ici peu ton corps sera peut-être très beau
même à tes yeux.