Gone magazine - 12/10/2017

[Le magazine n'existe plus]
 
Dépoussiérer la poésie pour la rendre plus séduisante et plus accessible, c'est le combat de Samantha Barendson, responsable administrative à l'ENS le jour et poète à temps plein. Entre deux performances poétiques au-delà de sa zone de confort croix-roussienne, une vie de famille bien remplie et des dévorations de romans et de recueils de poésie, elle se livre à Gone magazine...
 
Crédit photographique : Charlotte Santana pour Gone magazine.

KRAFTWERK / ce qui fait turbiner le gone

Présente-toi en 140 caractères Samantha Barendson !
Je suis poète et romancière. Je suis également performeuse, parfois un peu comédienne, un peu frustrée de n’être pas une chanteuse de tango.

Quel est ton degré de lyonnitude ?
Je suis 50% Argentine, 50% Italienne et 100% Lyonnaise.

Quel est ton métier ?
Actuellement je suis responsable administrative de deux hôtels à projets de l’École normale supérieure de Lyon, le premier en modélisation numérique, le second en analyse des systèmes complexes (ça va ? vous suivez ?). Parallèlement à cela, je suis poète et romancière, autant dire que je ne dors pas.

Décris-nous ton bureau et ton lieu de travail
À l'ENS de Lyon, j'ai deux bureaux dans deux bâtiments différents. Je partage le premier avec une adorable collègue, dans le second je suis seule. Je navigue entre les deux de façon décousue car j'oublie toujours mes lunettes ou un dossier dans l'un ou l'autre. Cela cultive ma schizophrénie. Sur chacune de mes portes se trouve une citation de Plonk & Replonk "En cas d'absence, je ne suis pas là. Si vous n'êtes pas là non plus, il n'y a personne".
À la maison j'ai également plusieurs endroits pour travailler, mon préféré c'est la table du salon qui me permet de regarder par la fenêtre qui donne sur les toits de la Croix-Rousse, j'aime poser mon regard le ciel bleu, les tuiles rouges et les façades ocres avant de retourner au texte. J'aime  aussi beaucoup m'asseoir au bureau de mon défunt grand-père, ça me situe dans une sorte de continuité, de lignée, qui me réconforte. Mais il m'arrive aussi de m'avachir complètement sur le canapé vêtue d'un veux pyjama en pilou-pilou et de me mettre à écrire comme ça.

Parle-nous de ton activité de poète
Je dis souvent qu'être poète est un sacerdoce. En effet, tu ne gagnes pas d'argent, tu ne dors pas, les gens te regardent comme une bête étrange et te disent qu'ils ne comprennent rien à la poésie, que la poésie c'est chiant et ils finissent par te parler de leurs traumatismes liés à l'enfance et aux poèmes de Maurice Carême appris par cœur à l'école.
Et moi de répondre que je ne fais pas ça pour l'argent, que mes nuits sont plus belles que vos jours et que la poésie est tout sauf chiante, qu'au contraire elle est dynamique, sensuelle, drôle, glamour, troublante, saisissante, etc.
Mon activité de poète consiste certes à écrire mais surtout à défendre la poésie.

Comment concilies-tu les deux ?
Jusqu'ici il y avait une sage répartition des tâches et j'arrivais à tout faire en harmonie. Depuis un ou deux ans, la poésie a pris de plus en plus de place car je suis régulièrement invitée à des festivals internationaux et je passe toutes mes "vacances" en tournée. Je reviens à l'instant du Canada où j'ai passé dix jours au FIP de Trois-Rivières et demain je dois retourner au bureau avec six heures de décalage dans les pattes.
À terme je voudrais travailler à mi-temps puis lentement laisser l'écriture remplacer l'administration. Fut un temps où les poètes avaient des mécènes...

Où et comment écris-tu ? Où trouves-tu l’inspiration ?
J'écris le soir, les fins de semaine, dès que j'ai un peu de temps et de calme. Toutefois, il y a tout un travail de préparation qui se fait en amont dans ma tête et pour cela je n'ai besoin de rien si ce n'est de ma mémoire. Je marche énormément, et lorsque je marche j'enregistre tout, les sensations, les visages, les rythmes, les lumières, les couleurs, les odeurs, etc. Ensuite je construis des images et je compose une "musique" qui servira d'appui au rythme du texte. Lorsque ces deux éléments sont clairs pour moi alors je peux m'asseoir et commencer à écrire.

Quelles sont tes autres passions ?
La lecture, les séries américaines et la raclette. Je suis boulimique concernant ces trois choses :
- Je lis en moyenne un roman tous les deux-trois jours et un livre de poésie par jour.
- Je suis capable de m'enfermer un week-end entier pour regarder l'intégralité d'une série, que ce soit Friends, Une nounou d'enfer, House of cards, Orange is the new black ou n'importe quoi d'autre.
- Et il y eut cet hiver mémorable durant lequel mes amis et moi avons mangé 18 raclettes.

OUÏE OUÏE / les sons du gone

Pour toi quel est le son de Lyon ?
Lyon est une grande ville à taille humaine, il est très facile de la parcourir à pied. Alors je dirais que le son de Lyon c'est le bruit de mes pas. Il m'arrive régulièrement de marcher 10 à 15 kilomètres par jour. Denis Rivet illustre cela dans une très jolie chanson : Dans les rues que je monte.

Le son de l’Argentine ? de l’Italie ?
Il y a une chanson d'un groupe au nom imprononçable, Bersuit Vergarabat, qui chante La argentinidad al palo, morceau qui décrit en détail tout ce qui fait l'argentinité.
Pour ce qui est de l'Italie, j'ai un faible pour la voix légèrement vibrante de Francesco Guccini lorsqu'il chante Autogrill.

Ton style musical de prédilection ?
Lorsque je suis seule à la maison, je mets du Tango-électronique (Gotan project, Bajofondo, etc.) ou du Piazzolla, du jazz (Ella Fitzgerald & Louis Armstrong ou Sarah Vaughan) ou du classique (Bach, Bach et Bach).

Le son qui te fait danser ?
J'ai grandi en boîte de nuit (les gones se souviennent certainement du Factory) avec de la techno hardcore allemande et de la techno espagnole, je suis donc très réceptive au boum-boum. Mais tout me fait danser, d'ailleurs la vie devrait être une comédie musicale !

Le son qui t’inspire ?
Le tatactatoum du train. Lorsque je suis dans un train, j'entre dans une sorte de transe qui fait défiler les images. J'ai d'ailleurs commencé à écrire un recueil qui s'appuie sur ce rythme.

Le son qui te rend heureuse ?
Un léger ronflement à côté de moi dans le lit... le cliquetis des tasses dans la cuisine qui m'indique que mon homme prépare le petit déjeuner... et le silence du réveil matin...

Le son qui te rend triste ?
Il y a une chanson terrible de Lily Lucas, T'es où ?, qui m'a fait littéralement pleurer lors de trois de ses concerts. Afin de cesser ce torrent de larmes j'ai fini par l'apprendre pour la chanter devant elle lors d'une scène ouverte qu'elle organise.

Le son de ton mariage ?
Pour le décalage, Vous êtes la femme de ma vie, Jean-Louis Chinaski.

Le son de ton enterrement ?
Le chemin, de Melchior Liboà. Encore une histoire de trains... pour partir en faisant tatactatoum...

Le son qui te motive ?
Le sifflement de la bouilloire. Rien de tel qu'un bon thé pour commencer la journée.  Rien de tel qu'un maté pour se mettre à écrire. Rien de tel qu'une bonne tisane pour aller se coucher.

Le son qui te fait rire ?
Lorsque Florent Devinaz chante Viens dans mon île... mais il faudra attendre qu'il sorte un album pour l'entendre... C'est la chanson la plus drôle du monde !

RAYON ROSE / le gone côté cœur coté slip

Quel est ton statut du moment ?
Je suis mariée avec un homme beau, fort, intelligent, drôle et riche (rires).

Parle-nous de ton premier baiser
C'était en sixième, j'avais organisé une boum chez moi, nous n'étions pas très nombreux mais mon jeune prétendant était venu. Nous avons dansé un slow, Sign your name de Terence Trent d'Arby, et nous nous sommes embrassés. Je n'ai aucun souvenir du baiser à proprement parler mais cette chanson me donne encore des frissons.

Et du dernier
C'était il y a trois semaines, sur le pas de la porte lorsque mon mari est parti en Argentine pour le travail. Depuis j'attends son retour...

Une anecdote honteuse à partager ?
Je crois que toutes les femmes du monde ont rougi de honte la première fois qu'elles ont fait un pet de fouffe devant l'homme de leur vie... tout en bafouillant non mais ce n'est pas... derrière... non mais c'est devant... l'air, le mouvement, tu comprends....

Un livre, un film qui t’a éveillé à la sensualité ?
Dans la bibliothèque de mes parents il y avait pas mal de livres olé olé, je suis rapidement tombé sur Le déclic de Milo Manara et Les onze mille verges de Guillaume Apollinaire. Je ne savais pas grand chose sur la question et j'ai été prise de chaleurs très localisées.
J'ai aussi de vagues souvenirs de collège, nous passions nos samedis soirs à regarder les films érotiques de M6 en gloussant bêtement.

Pour toi, Lyon est une ville coquine, érotique ou romantique ?
Je trouve que Lyon est plutôt romantique, elle invite à la promenade et à la contemplation. Je sais que certaines choses se cachent et se font derrière les murs mais je ne les vois pas vraiment.

Les endroits à Lyon où tu aimerais faire des choses olé olé ? Et ceux où tu as déjà fait des choses olé olé ?
Je passe régulièrement devant l'église désaffectée du Bon-Pasteur, j'aimerais bien m'y introduire en catimini et outrager un peu ce lieu si envoûtant.
Sinon, je vais parfois au cinéma Saint Denis à la Croix-Rousse et j'aimerai bien faire plus qu'y regarder un film.
D'autres gones ont déjà parlé des porches et des traboules, c'est vrai que Lyon est une ville qui peut facilement inviter à se fondre dans l'obscurité humide de ses murs pour y trouver le plaisir.
J'avoue faire l'amour parfois sur ma terrasse avec vue sur les toits de Lyon, c'est une belle sensation que d'être chez soi tout en étant dehors pour jouir aux étoiles.

Le spot le plus romantique à Lyon ?
J'aime beaucoup les hauteurs et les jardins, j'ai donc un petit faible pour la terrasse du Musée Gadagne.

Trouves-tu les Lyonnais sexy ?
Moins que les Parisiens, mais chuuuut...
Et puis mon mari est Marseillais, alors re-chuuuut...

MAGASINAGE / les adresses shopping du gone

Quel magasineuse es-tu ?
Si l'on parle fringues, je suis un désastre. Je passe des heures à envisager de m'acheter de beaux habits originaux et colorés mais je finis toujours par ne rien acheter ou acheter un vêtement basique noir. J'ai toujours deux foutues phrases qui me trottent dans la tête "tu n'as besoin de rien" et "tu ferais mieux d'acheter quelque chose qui aille avec tout".
Par contre je dépense des fortunes en livres.

Quel est ton dernier achat ?
Un billet de train pour Paris. Et une bouteille de rosé pour faire perdurer l'été.

L’achat que tu regrettes le plus ?
Une robe noire très belle qui ne me va pas du tout, mais je ne désespère pas d'avoir un jour un ventre plat et cinq kilos de moins.

Quels magasins fréquentes-tu assidûment ?
La librairie Vivement dimanche, à la Croix-Rousse.
La librairie Passages, dans le 1er.
La Librairie La voix aux chapitres, dans le 7e.
La librairie Rive gauche, dans le 7e.

Ceux que tu ne fréquentes pas ?
Je ne fréquente pas les grandes enseignes, je préfère les librairies indépendantes !

Plutôt Part-Dieu ou Confluence ?
Confluence, pour la lumière et la proximité de l'eau.

Le magasin où tu aimerais te faire enfermer pendant une nuit ?
Aucun... Je suis claustrophobe ! Au secours, laissez-moi sortir !

Où fais-tu tes courses ?
Je fais toutes mes courses à la Croix-Rousse. Il y a un petit supermarché, un marché de produits frais, un boucher, un boulanger extraordinaire (Ô fournil des artistes), un maraîcher, trois libraires, de nombreuses pharmacies, deux cavistes, des magasins de vêtements et de chaussures, etc. Les Lyonnais le savent, nous pouvons vivre en autarcie sur notre colline.

Quel magasin manque à Lyon ?
Rien ne manque à Lyon.

LIEUX FÉTICHES / le gone dans la ville

Depuis combien de temps es-tu à Lyon ? Où as-tu vécu ?
J'habite à Lyon depuis plus de 30 ans. Je dis Lyon, mais j'ai aussi un peu vécu à Saint Didier au Mont d'or. Avant cela, j'ai vécu à Paris et en zone parisienne. Et encore avant au Mexique, en Argentine et en Espagne où je suis née.

Quel est ton quartier de prédilection ?
La Croix-Rousse !

Le lieu le plus insolite à Lyon ?
Je n'ai jamais visité la Maison Rosa Mir créée par Jules Senis (1913-1983), artisan maçon carreleur, qui a consacré les vingt dernières années de sa vie à la création d'un jardin "extraordinaire" dédié à sa mère ainsi qu'à la Vierge Marie. J'imagine que c'est une sorte de palais du facteur Cheval et cela doit être bien insolite.

Le lieu que tu fréquentes le plus ?
Je passe beaucoup de temps dans le café-restaurant-librairie Macanudo. C'est un endroit qui permet de déjeuner bon et pas cher à midi, de travailler au calme l'après-midi, de faire la fête le soir en musique avec mojitos et tapas. J'y déjeune très régulièrement et j'y donne souvent rendez-vous vers 18 heures, c'est un peu mon second bureau.

Celui que tu détestes ?
Je déteste le croisement entre la rue Lanterne et la rue Constantine. Je trouve qu'il y a une très mauvaise aura à cet endroit précis, comme s'il y avait un ancien cimetière caché dessous ou quelque chose de maléfique. Je ne sais pas si cela a un rapport avec les magasins de santiags ou de vêtements gothiques mais j'ai toujours eu cette sensation.

Lyon est-elle une ville poétique ?
Lyon, capitale de la poésie ! De Louise Labé jusqu'à moi, la poésie a toujours été présente à Lyon. Et puis, comment ne pas être sensible à l'atmosphère de cette ville ?

Aujourd’hui, te vois-tu vivre ailleurs qu’à Lyon ?
Sincèrement, non. Parfois j'ai envie d'aller passer un an ou deux à l'étranger, pour l'expérience, mais je me vois toujours revenir ici.

Quels endroits à Lyon t’emmènent en Argentine ?
L'arrivée de Macanudo, il y a deux ans, a changé ma vie. Je peux enfin manger des empanadas, du locro ou de la très bonne viande, boire du maté, boire de la bière Quilmes ou du Fernet Branca avec du coca, manger des desserts au dulce de leche quand je veux. Et l'on y trouve aussi des livres en espagnol, le bonheur !
Avant ça, j'étais obligée de manger des empanadas chiliennes chez Don Carlos sur le marché Saint Antoine, délicieuses mais différentes. Et pour le maté, je devais aller chez l'arménien Bahadourian. Parfois j'allais à Puerto Argentino à la Part-Dieu, restaurant argentin très recommandable mais en dehors de mon périmètre de vie.

Et vice-versa ?
Quels endroits en Argentine m’emmènent à Lyon ? Il a eu une réhabilitation des docks de Buenos Aires, le quartier s'appelle Puerto Madero et me fait parfois penser au quartier de Confluence avec son architecture moderne, ses restaurants lounge et ses promenades au bord de l'eau.

Qu’est-ce qu’il manque à Lyon ?
J'ai beau chercher, il ne manque rien...

Où sors-tu à Lyon ? Des endroits à conseiller (restaurants, bars, cafés, théâtre…) ?
Je fréquente assidûment le théâtre de la Croix-Rousse qui, depuis quelques années grâce à son directeur Jean Lacornerie, a remis la comédie musicale au goût du jour et pour mon plus grand plaisir !
J'aime aussi beaucoup prendre un verre place Bertone, il y a plusieurs cafés sous les platanes, c'est un endroit calme et reposant.
Mais pour briser le mythe de la Croix-roussienne qui ne descend jamais de sa colline, je conseillerai La cave d'à-côté, sur la presqu'île, un bar à vin très cosy au décor rétro glamour.