Mediapart blog - 30/11/2016

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Samantha Barendson (poète), quelle serait votre représentation des États-Unis ?

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La Maison de la Poésie de Nantes interpelle les auteurs et artistes invités à MidiMinuitPoésie #16 sur une question d'actualité. Premier item : Quelle serait votre représentation des États-Unis ?

Réponse

Lorsque le train arrive à Grand Central, je sens New-York vibrer sous mes pieds, l'horloge de la gare marque sept heures vingt et un couple de mariés se fait prendre en photo sur l'escalier de marbre, les rayons de lumière traversent les fenêtres hautes, caressent la voute aigue-marine, hommes et femmes sont en retard et courent prendre leur train, d'autres silhouettes s'attardent et rêvassent, il y a ceux qui boivent un café, ceux qui travaillent sur leurs ordinateurs, ceux qui discutent en anglais, en indien, en espagnol, l'humanité entière se croise dans les couloirs qui mènent au voyage, je pousse la porte et lève les yeux sur un ciel lointain, au-delà des gratte-ciels, au-delà du verre et du métal, au-delà des étoiles, un flot de taxis jaunes coule dans la géométrie des rues, il est encore tôt mais la ville bouillonne, je marche dans le décompte des rues, il n'y a pas assez de poètes pour les nommer toutes, les chiffres suffisent à m'emmener jusqu'à Central park, il y a le lac, le banc de Woody Allen dans Manhattan, les promeneurs de chiens, les équipes de tournage qui filment le prochain épisode d'une série à succès, une jeune fille à cheval, un clochard, une femme qui ressemble à Barbra Streisand, des chinois qui jouent aux échecs et d'autres qui font du tai-chi-chuan, des italiens, des afro-américains, des irlandais et la Liberté qui trempe ses pieds à l'horizon dans la rivière Hudson, je ne crois pas que ce soit ça l'Amérique mais je n'en connais rien d'autre, je ne connais ni les grands espaces vides et secs du Texas, ni les plages huilées de Miami, je n'ai jamais vu les lumières épileptiques de Las Vegas, je n'ai jamais dormi dans un motel au bord de la route soixante-six, je n'ai jamais été dans un parc si grand que l'on peut passer au travers des arbres en voiture, je n'ai jamais rencontré d'ours ou de baleine, je n'ai jamais parlé français en Louisiane, je ne connais que New-York, cette grosse pomme qui me laisse croire que les Etats-Unis sont un pays romantique où vivent ensemble toutes les communautés, où nul ne juge autrui, où tout est toléré, où il y a de la place pour les hommes d'affaires et les artistes, pour la création et la libre-entreprise, pour les couples homosexuels et les célibataires, pour les familles nombreuses et les âmes solitaires, pour les gens de couleur et les blancs aspirine, pour les sportifs, les athlètes et les handicapés, pour ceux qui peuvent, ceux qui tentent et ceux qui échouent, pour les croyants et les athées, pour les carnivores et les végés, pour tous et toutes, et je veux croire qu'hommes et femmes naissent et demeurent libres et égaux en droits, que la peine de mort n'existe pas, que les prisons sont vides d'uniformes orange, que le port d'arme est interdit, que les tours jumelles sont encore debout, que le dollar n'est pas une arme, que les dictatures n'ont pas été téléguidées, que l'espoir existe encore, je veux pouvoir marcher dans les allées matinales du parc en chantant le refrain de mon enfance bercée par Joe Dassin : L'Amérique, l'Amérique, si c'est un rêve, je rêverai / L'Amérique, l'Amérique, si c'est un rêve, je veux rêver...