Fertile

Jd fertile 1003

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Préface

Les textes réunis dans fertile sont des inédits. Neuf poètes, dont deux offrent la particularité d'être aussi céramistes, ont été invités à rêver le mot "terre". Les textes ont été écrits dans le but d'être lus à haute voix lors du Marché des Tupiniers des 13 et 14 septembre 2014.

Samedi et dimanche, certains poèmes ont été lus par leurs auteurs et Khorine Banos et Marie-Madeleine Guilbert, au cœur du marché, cour des Lazaristes où étaient exposées des œuvres de céramistes qui inventaient des relations entre l'argile et les mots. Celles-ci ont d'ailleurs été source d'inspiration pour les participants à l'atelier d'écriture du dimanche matin, atelier conduit par Christine Duminy-Sauzeau (Maison de la poésie de Villefontaine); leurs textes sont réunis à la fin de ce volume. Les poèmes des poètes appartenant au "Syndicat des poètes qui mourront un jour" ont été lus par leurs auteurs et découverts par un public nombreux à La maison des passages, le samedi soir.

Le mot "terre" se contredit, toujours en train de naître, en train de nous faire naître, de se faire naître, à la fois vide et plein, compact et malléable à merci, synonyme aussi bien de "mort" que de "vie". Pesant et léger, il sait se faire accueillant comme il peut se révéler guerrier. Immobile sous nos pieds, mouvante, fondante, lente et rapide, souple, voire soumise, mais... réfractaire, la terre ! Un mot à tout faire, en somme.

Qu'elle soit arable, argile, planète ou sable, chacun l'a écoutée, a écouté ce mot : terre. Chacun a entendu le silence qu'elle produit et le raffut qu'elle fait quand elle s'y met et qu'elle revendique ?) : Ecoutez-moi ! / Non, écoutez-moi ! / Non, moi ! moi ! / Ecoutez ! Ici, là ! (Brigitte Baumié)

En portant notre attention plus particulièrement vers l'argile, qui peut devenir solide en cuisant, nous entendons une question; le moindre récipient en terre provoque la pensée, boire à même désaltère, étonne : Un bol : / L'eau, entre les mains / Venue ? (Françoise Delorme)

Si nous prêtons sens à tous les mots nés de l'activité céramique, ils nous ramènent à la maison, ils nous emmènent ailleurs, agrandissant le territoire : D'autres poteries sonores en d'autres langues / [...] Ça sonne autrement en Vendée / Que les noms de poteries utilitaires aux Etats-Unis / Jug et jar, pitcher, bowl et crock, pot, mug, pan : / Musiques données par les mains du monde. ( James Sacré)

Sonore et solide, mais si fragile, toujours soudainement comme une naissance, il arrive qu'elle se fissure, à peine : je fêle tour de ma mère / entière en sortant de ma mère (Béatrice Brérot)

Parfois, la terre se brise, réellement, en mille tessons, mémoire en morceaux du désir de liberté que le geste du potier comme celui du poète esquissent contre la volonté de la conquérir et de la soumettre, contre la mort, contre la guerre : Lui qui a voulu faire de ses mains une danse, s'est toujours émerveillé de les voir tourner comme des flammes au feu, [...]. Il va caner. [...] Tout ce qu'il a devant lui c'est un trou: un trou pour potier. (Sylvain Thévoz)

La terre suscite le sentiment que les mots seraient une matière, que la terre est faite de mots et réciproquement, indéfiniment. Il faut toujours recommencer le geste de s'en souvenir, creuser : Sans trou, pas d'écriture, mais sans écriture pas de trous non plus. Je fais des trous dans la terre comme si c'était la matière même de l'écriture. (Isabelle Sbrissa)

Une bouche s'ouvre alors, bouche par où se glisse sans cesse comme une voix : de cette terre / monte le chant de la terre (Yves Bressande)

La terre parle, elle chante. Elle est une matière. Elle est aussi le lieu où nous habitons. Elle tourne l'homme − ou peut-être est-ce simplement "la vie qui nous tourne", comme le potier Bernard Leach l'écrivait à son ami Hamada ? Les battements du cœur, la circulation du sang répètent-ils les mouvements qui font tourner la terre sur elle-même et tout autour du soleil ? (Jean-Luc Parant)

Toutes les voix rassemblées dans ce recueil rendent sensible l'intense prégnance de la terre dans nos vies. Que nous l'oubliions ou que cela nous obsède, la terre a encore son mot à dire. Quant aux gestes des hommes sur la terre et avec elle, ils n'ont pas tous le même sens. Celui du potier, celui d'offrir de pouvoir offrir, à boire, à manger, à contempler, s'origine dans les mains, des mains inventives. Il renouvelle la confiance qu'il faut donner à leur intelligence. Pour continuer à boire ensemble, à parler ensemble, à écrire, à vivre, quoi ! Ensuite il y a la terre / où l'on fait l'amour / et la terre première / où l'on crie / non pas dans la boue / où l'on crie à table (Samantha Barendson)

Conserver la trace de ces lectures poussait à faire un livre. Dès le départ, Stéphane Landois s'était proposé pour continuer le geste courageux de l'éditeur, celui fidèle de l'imprimeur, nécessaires, précieux.

Avant d'ouvrir le livre que vous tenez entre vos mains, vous pouvez regarder, toucher un petit carré de rêverie céramique. C'est comme une porte, ici et maintenant.

Si vous entrez, vous pourrez lire tous ces poèmes qu'accompagnent les méditations photographiques de Jean Daubas, dans lesquelles il crée des jeux de résonances entre les métiers de photographe, de poète et celui de potier.